QUELQUES LIGNES DE
L'AUTEUR
A L'ADRESSE DE TRISTAN BERNARD (I)
Cher Tristan Bernard,
Te rappelles-tu le
Voyage que nous fîmes l'an dernier à pareille époque au tombeau de
Chateaubriand ? (Je ne sais plus si
cette visite avait le caractère d'un pèlerinage, ou si elle était le résultat
d'un pari de douze déjeuners. ) Nous avions pris le train, selon une pieuse
coutume, à la gare Montparnasse.
Le soir, sur ces
entrefaites, était tombé. Je me souviens qu'au moment où nous brûlions la
station de N…, et où une brusque secousse nous avertit que nous passions sur le
1er degré de longitude, je te parlai de mon prochain volume, avec la
fièvre et l'abondance qui me caractérisent quand je suis dans une période de
production. Dans mon ardeur je m'engageai alors à te dédier ce livre, moyennant
certaines conditions.
Je tiens aujourd'hui
ma promesse : non sans une joie très vive, je te dédie le livre suivant, sur
lequel j'attire ton attention.
Tu remarqueras d'abord
que les descriptions y sont très brèves, et que l'on n’y insiste sur l'aspect
général des nuages, arbres et verdures de toute sorte, sentiers, lieux boisés,
cours d'eau, etc., que dans la mesure où ces détail paraissent indispensables à
l'intelligence du récit. En revanche, le plus grand soin a été apporté au
dessin (outline) et à la peinture (colour) des caractères. D'autre part, l'intrigue (plot) est entrecroisée avec tant de bonheur
qu'on la dirait entrecroisée à la machine ; or il n'en est rien. Quant au
style (style), il est toujours noble
et, grâce à des procédés de filtration nouveaux, d'une limpidité inconnue à ce
jour.
Tels sont, mon cher
ami, les mérites de cet ouvrage, qu'en échange de la petite gracieuseté que je
te fais, tu pourras recommander, le cigare aux lèvres, avec une nonchalance
autoritaire, dans les cercles, les casinos, les garden-parties et les chasses à
Courre.
Cordialement à toi,
ALPHONSE
ALLAIS
(I) Ces quelques lignes sont écrites spécialement pour M.
Tristan Bernard ; néanmoins les autres lecteurs peuvent en prendre connaissance,
elles n'ont absolument rien de confidentiel.
commentaire : dédicace de L'Affaire Blaireau, d'Alphonse Allais. À propos de dédicaces, rappelons que le facétieux AA possédait dans sa bibliothèque un volume de Voltaire, enrichi d'un envoi qui faisait sa fierté :
“À Alphonse Allais,
avec mes regrets de ne l'avoir pas connu,
Voltaire”
Il aimait piéger certains de ses visiteurs avec cette fantaisie - ajoutée par ses soins, évidemment.
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