Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy - Ennemis publics



commentaire : on trouve en ce moment chez un soldeur parisien ce livre qui avait sans doute d'autres ambitions que de finir ainsi, sacrifié à 3 €. On ne l'avait pas acheté à l'époque de sa sortie (2008), agacé par le battage médiatique auquel sa parution avait donné lieu. Cette fois, on s'est laissé tenter, d'autant que le principe même du livre, une espèce de conversation épistolaire, nous a toujours séduit - on a d'ailleurs par le passé proposé l'idée à un certain nombre d'éditeurs, sans qu'aucun ne semble partager notre enthousiasme...
On ne se rappelle plus très bien quel fut l'accueil réservé à cet Ennemis publics, un peu mitigé nous semble-t-il. On vient d'en dévorer d'un trait - un rien goulûment - plus de la moitié, et le fait est qu'on se régale. C'est intelligent et stimulant, souvent drôle, parfois émouvant (quand nos deux auteurs évoquent leurs pères respectifs). On a évidemment une préférence pour le versant houellecquien de l'ouvrage, l'auteur de La Possibilité d'une île se révélant plus que jamais comme un des observateurs les plus pénétrants et lucides de notre société, et plus largement de notre époque.

On livre en guise de teaser la première lettre, signé Houellebecq.

Bruxelles, le 26 janvier 2008,

Cher Bernard-Henri Lévy,

Tout, comme on dit, nous sépare - à l'exception d'un point, fondamental : nous sommes l'un comme l'autre des individus assez méprisables.
Spécialiste des coups foireux et des pantalonnades médiatiques, vous déshonorez jusqu'aux chemises blanches que vous portez. Intime des puissants, baignant depuis l'enfance dans une richesse obscène, vous êtes emblématique de ce que certains magazines un peu bas de gamme comme Marianne continuent d'appeler la « gauche-caviar », et que les périodistes allemands nomment plus finement la Toskana-Fraktion. Philosophe sans pensée, mais non sans relations, vous êtes en outre l'auteur du film le plus ridicule de l'histoire du cinéma.
Nihiliste, réactionnaire, cynique, raciste et misogyne honteux : ce serait encore me faire trop d'honneur que de me ranger dans la peu ragoûtante famille des anarchistes de droite ; fondamentalement, je ne suis qu'un beauf. Auteur plat, sans style, je n'ai accédé à la notoriété littéraire que par suite d'une invraisemblable faute de goût commise, il y a quelques années, par des critiques déboussolés. Mes provocations poussives ont depuis, heureusement, fini par lasser.
À nous deux, nous symbolisons parfaitement l'effroyable avachissement de la culture et de l'intelligence françaises, récemment pointé, avec sévérité mais justesse, par le magazine Time.
Nous n'avons en rien contribué au renouveau de la scène électro française. Nous ne sommes même pas crédités au générique de Ratatouille.
Les conditions du débat sont réunies.

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