Lolita, Lolita, Lolita...



En des temps reculés, on passa une année à travailler sur un thème qui nous avait été soufflé par Gilles Barbedette alors qu'on jouait les stagiaires aux éditions Rivages : "La littérature française dans les romans américains de Vladimir Nabokov". On n'avait jamais lu une ligne de Nabokov, et c'est avec surprise et ravissement que l'on découvrit un auteur selon notre goût (humour, sens du jeu) en même temps qu'une oeuvre irrégulière, mais passionnante et jubilatoire, où la littérature française occupait de fait une place prépondérante - sous forme de citations, d'allusions, d'hommages, d'emprunts, de pastiches, etc. On retrouvait ainsi la trace de Proust, Baudelaire, Balzac, de Chateaubriand et de la Comtesse de Ségur, de Flaubert, Mérimée et Maupassant, et d'autres encore, y compris des auteurs fictifs...
Plus récemment, on avait lu sur un blog érudit où l'on se rend de temps à autre ce billet évoquant un Lolita antérieur à celui de notre cher Vlad, avec des ressemblances troublantes. On avait découvert à cette occasion qu'il existait sur le sujet toute une littérature qui aurait bien fait rigoler Vivian Darkbloom, dont le Feu Pâle moque entre autres certaines élucubrations universitaires. Ne voyait-on pas exhumées de l'oubli des oeuvres aussi impérissables que En villégiature, Lolita (1894) d'Isidore Gès et La Chanson de Lolita (1920) de René Riche ? À notre tour d'entrer dans la danse, puisque le hasard nous a fait tomber sur un petit roman de Myriam Harry, auteure oubliée (on a mis les "e") de livres "exotiques" vieillots, mais pas dénués d'intérêts. Le Premier baiser, daté de 1927 (notre édition, de 1941, dans la collection "Pour oublier la vie" de chez Tallandier, bénéficie d'une jaquette qu'on peut raisonnablement qualifier de kitsch), nous fait suivre les errances exotiques d'une certaine Lolita, venue rejoindre son mari en poste en Syrie et au Liban. On n'a pas lu livre, mais le début, une lettre de son époux à Lolita (elle avait dix-sept ans lors de leur mariage, et il en avait le double...), nous a irrésistiblement fait penser au babillage exalté, gâteux et névrosé de Humbert Humbert.

"Ma chère petite Lolita,
Enfin, enfin, j'ai une maison, une maison, une maison digne de toi, qui te plaira, j'espère, et dans laquelle nous serons heureux.
(...)
Ton arrivée, ô ma Loly jolie, mon stylo en tremble. Ma toute petite enfant ! Ah ! quand je pourrai te soulever dans mes grands bras, te serrer contre mon fidèle coeur !"

Alors, une nouvelle piste pour les chercheurs ?

Et pendant qu'on y est, preuve que les Lolita étaient très en vogue dans les années 20 en France, voici le poème de la page 78 de Stances, instances et inconstances de Pierre Régnier paru en 1926 dans la collection l'Alphabet des Lettres, volume dont on a déjà parlé. Évidemment, ledit poème s'intitule Lolita...


LOLITA

Lolita, tu me plais, parce que tes yeux noirs
Ont le reflet vert clair de la mélancolie
Et parce que tes cils tremblants de jalousie
Ont les franges d'un châle et l'épaisseur d'un soir.

Tu me plais parce que tu n'es pas trop jolie
Et parce que ta bouche a tant de désespoir
Que c'est à peine si l'on peut apercevoir
La fossette imperceptible de la folie.

Tes mains de satin mauve ont un parfum d'amour
Et tes bras sont si las que je voudrais un jour
Les couvrir longuement de baisers égoïstes;

Mais dans une aube d'or couleur de tournesol,
Je voudrais, Lolita, tes doigts nerveux et tristes
Pour déchirer mon cœur d'un coup d'ongle espagnol.

Commentaires

  1. "Lolita est une petite fille ; Lola est en âge de se marier, Dolores a trente ans [...]. Un jour, inspiré par l'amour, je murmurerai : Lola. Et le soir de mes noces, j'aurai Lolita dans mes bras. [...] Pour tout le monde : dona Dolores ; pour moi seul : Lolita. "

    Valéry Larbaud, Jaune Bleu Blanc, 1927.

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  2. Ah ! oui, c'est vrai, je l'ai oublié. Et 1927, là encore.

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  3. L'intitulé de la collection "Pour oublier la vie" prend, dans le contexte historique de 1941, un sens qui va au delà de la simple promesse d'évasion sentimentale et exotique pour lectrices rêveuses. //// Le final du poème de Régnier me scotche et fait mouche : "d'un coup d'ongle espagnol". C'est brillant et vif, à l'image du cerveau de cet homme hélas mort trop tôt, usé par sa vie de Patachon.

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  4. C'est drôle d'être appelé "érudit". Je me (mon blog) qualifie d'obsessionnel, vous êtes plus indulgent, merci.

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